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Détection des mensonges

Comment obtenir la vérité en 5 minutes ou moins, dans n'importe quelle situation ?
Selon David Lieberman, l'auteur du livre «Never Be Lied To Again», c'est un jeu d'enfants, ou presque...

Le succès de ce livre s'explique par la tendance louable de vouloir démasquer les menteurs. À cela s'ajoute, l'illusion soigneusement entretenue, qu'il est parfaitement possible d'appliquer une méthode expéditive pour accomplir cette tâche.
Prétendre que la détection du mensonge est une chose aisée, flatte certainement l'orgueil du détective qui sommeille en chacun de nous. Cependant, il ne faut pas se leurrer, cette entreprise est particulièrement ardue.

Délier la langue des suspects

Toute la méthode de l'auteur consiste à délier la langue des suspects en appliquant différents stratagèmes. Pour ne pas réduire à néant tous les efforts entrepris, il faut cependant éviter d'accuser les suspects directement, car alors ils refuseraient de parler.

Examinons de plus près la méthode de Lieberman  à travers un exemple représentatif de son livre.

Quelqu'un a pénétré dans la maison de Winston. Des bijoux de grande valeur, qu'il avait soigneusement dissimulés, ont été dérobés.
Qui est le coupable ?
Winston est plus ou moins convaincu qu'il s'agit de son ex-amie, avec laquelle il vient de rompre. Elle avait la clé de son logement.
Winston admet néanmoins que l'employée de maison ou l'électricien auraient pu également commettre ce forfait. Dernière hypothèse, il pourrait s'agir d'un vol perpétré par un inconnu.

Winston met en place une tactique ingénieuse afin de confondre son ex -amie. La méthode semble efficace puisque cette dernière finit par avouer son forfait.

Voici la manière de procéder de Winston :

Il lui téléphone et lui dit, sur un ton neutre et non accusateur, qu'il a été cambriolé.  
Son ex-amie feint la surprise et lui demande des précisions.

Winston répond de cette manière :
« La police va interroger chaque personne qui a accès à mon domicile. Comme tu as la clé, ils voudront également parler avec toi. Bien sûr tu n'es pas suspecte !  »

L'ex-amie répond qu'elle n'est au courant de rien.

Winston :  (qui a anticipé sa réaction)
« Je sais. Le jour où le vol s'est produit, un voisin a aperçu partiellement le numéro d'une plaque de voiture qui stationnait prés de la maison.  »

Ex-amie : (après une longue pause)
« J'étais dans les parages, ce jour-là. Je me suis arrêtée pour voir si tu étais chez toi. Mais comme tu n'y étais pas, je suis repartie.  »

Conclusion hâtive

L'auteur en tire les conclusions suivantes :
L'ex-amie confesse sa présence le jour du vol. Mais en faisant de la sorte, elle établit soit une coïncidence fortuite avec le délit, ou alors elle confirme son implication.
L'auteur en déduit également que si elle avait été innocente, elle n'aurait eu aucune raison de poursuivre cette conversation en cherchant à se justifier.

Winston : (mettant plus de pression sur la suspecte)
« Ah bon, vraiment ? La police désire également fait un test pour connaître la vérité. »

Ex-amie :
« Quel test ? »

Winston :
« Oh ! Juste de la routine. Ils vont relever des empreintes digitales. »

Ex-amie :
« Comme j'ai déjà été présente dans la maison, il n'est pas exclu que la police découvre également mes empreintes. »

Validité de la méthode

Sur la base des déclarations de son ex-amie, l'auteur conclut alors sur un ton péremptoire :
A ce stade, Winston savait qu'elle était directement impliquée.
Dix minutes plus tard, son ex-amie confessa avoir pénétré dans la maison et avoir volé les bijoux.

Malheureusement pour l'auteur du livre, les aveux de l'ex-amie ne démontrent pas la validité de la méthode utilisée pour la confondre. Comme nous le verrons, sans cette ultime confession, il aurait été très difficile, voir impossible, de prouver la culpabilité de la suspecte.

Relevons aussi que les arguments de l'ex-amie sont parfaitement légitimes (je suis venue te voir précédemment, il y a mes empreintes dans la maison), qu'en eux-mêmes, ils ne constituent pas un indice de culpabilité.

Contrairement aux affirmations de l'auteur, le stratagème utilisé pour résoudre ce cas (et d'autres décrits dans le livre) ne conduit pas inéluctablement aux aveux d'une personne coupable.

Disponibilité  du suspect

Pour commencer Winston explique qu'il vient de rompre et que son ex-amie possède toujours les clés de son logis.
On en déduit logiquement qu'il a encore de bonnes relations avec elle. Ceci n'est pas une situation exceptionnelle, mais il est évident que la stratégie de Winston pour démasquer son ex-amie est applicable uniquement dans ce cas de figure.
Si les ex-conjoints n’entretiennent plus de rapports cordiaux et qu'ils n'ont plus de contact, comment obtenir  alors les informations nécessaires ?
Sur ce point Lieberman est assez peu  disert.  Par ailleurs, il ne livre aucun secret pour faire parler les personnes qui se  convertissent en huîtres.  C'est bien dommage, car on peut prévoir sans risque de se tromper que le refus de parler est une défense très usitée lorsque l'on a quelque chose à se reprocher.
La première conclusion qui s'impose est donc que la bonne disponibilité des suspects, sur laquelle Lieberman base toute sa stratégie, n'est absolument pas représentative de la réalité.

Antinomie étonnante

Winston a donc gardé une relation cordiale avec son ex-amie, puisqu'il ne trouve rien à redire au fait qu'elle soit venue le visiter, et peut-être même, qu'elle ait ouvert la porte de son logis en son absence.

Nous devons admettre qu'il y a une antinomie étonnante entre le sentiment de Winston, au sujet de la culpabilité de son ex-amie et la confiance qu'il lui témoigne encore.  Malgré avoir rompu, il a encore confiance en elle. En toute logique ce n'est pas elle qui devrait être la suspecte principale, mais plutôt l'électricien ou la femme de ménage.
S'il avait suspecté et interrogé ces personnes, leurs réactions auraient pu être identiques à celles de son ex-amie (nos empreintes sont dans la maison car  nous y étions précédemment).  La situation produite aurait été bien plus complexe à dénouer que celle du récit. L'auteur ne considère même pas une telle éventualité.

Winston se garde de mentionner si son ex-amie connaît le lieu où se trouvaient les bijoux.  Nous pouvons en déduire qu'elle ne le connaît pas plus que la femme de ménage et l'électricien. La femme de ménage a sans doute de bonnes raisons d'avoir examiné tous les recoins de la maison.  En y réfléchissant bien, c'est cette dernière personne et non l'ex-amie de Winston qui devrait plutôt faire figure de suspecte numéro un.

Biais de l'enquêteur

Pourtant Winston est convaincu que son ex-amie, avec laquelle il a récemment rompu, est la coupable. Néanmoins il n'explique pas de quelle manière il a forgé sa conviction.
Serait-il victime du biais de l'enquêteur ? Cette tendance inconsciente qui consiste à se servir d'indices inconsistants pour corroborer des hypothèses erronées.

Soyons indulgents avec Winston et reconnaissons-lui des raisons légitimes de douter de l'innocence de son ex-amie.
Il est probablement convaincu de la culpabilité de son ex-amie parce qu'elle a déjà fait preuve de malhonnêteté par le passé. C'est éventuellement la raison pour laquelle il a rompu avec elle.

Quel est le mobile ?

Pour qu'une femme vole les bijoux d'un ex-ami qui va la suspecter en premier lieu, il faut un mobile consistant, que l'appât du lucre ne suffit pas à justifier.
La jalousie, la vengeance ?

Supposons donc que Winston a déjà remplacé son ex-amie et que sa nouvelle partenaire détient également les clés de l'appartement.  
Si l'ex-amie vient dans l'appartement de Winston pour commettre un vol, on présume qu'elle va s'introduire préférablement à un moment où il sera absent (connaissant ses habitudes) ou  même qu'elle vienne frapper à sa porte, avec un faux alibi (en raison des bonnes relations qu'elle entretient toujours avec lui).
Elle ne peut évidemment plus  appliquer la même stratégie sachant que sa rivale risque de se trouver  dans la maison.
Par ailleurs la nouvelle amie, si elle existe, est également une suspecte au même titre que l'ex-amie. Rien ne prouve en effet  qu'elle ne commette pas le vol en raison de la déception provoquée par  l'attitude de Winston, qui continue à fréquenter son ex-amie.

Finalement, la décision de voler les bijoux de la part de l'ex-amie de Winston pourrait avoir été prise dans le but de faire suspecter sa nouvelle amie.
Ceci suppose alors un comportement machiavélique de l'ex-amie, qui parvient à maîtriser les nombreux paramètres de la situation.
On conçoit mal qu'après avoir mis à exécution un plan aussi complexe et après avoir donné une justification plausible de son innocence, l'ex-amie décide subitement de se confesser par peur de voir ses empreintes digitales saisies.  Elle aurait certainement pris des dispositions pour ne pas en faire ou éventuellement pour les effacer.

Complexité potentielle

A ce stade, les défenseurs de la méthode de Lieberman peuvent rétorquer que ces conjectures sont superflues. Ce faisant, ils montreraient comme l'auteur une tendance à la simplification qui élude la complexité potentielle de ce type de situation. Ils peuvent également admettre que l'ex-amie a probablement agi sur un coup de tête, pourquoi pas motivé par la jalousie et sans se rendre compte des conséquences de son acte. Cette hypothèse est fort possible. Cependant l'auteur ne se risque pas à la mentionner, car il serait alors obligé de reconnaître son erreur, qui consiste à traiter un cas particulier comme une situation générale, rendant ainsi caduques les recettes qu'il fournit.

En conclusion, dans le cas exposé par Lieberman rien ne semble impossible, pour la simple et bonne raison que nous ne disposons pas d'indices suffisants permettant de privilégier une piste plutôt qu'une autre.

En dehors de ses tactiques d'interrogation stéréotypées Lieberman n'offre aucune autre alternative pour démasquer les menteurs, si bien que le succès de son système est tout à fait aléatoire et repose uniquement sur des circonstances indépendantes de la volonté de l'investigateur.

Reconnaissons néanmoins un mérite à ce livre, celui de permettre au lecteur attentif d'aiguiser son sens critique.