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Art de la persuasion

Comment démontrer une volonté de tromper, lorsqu’elle est diluée dans une myriade de bonnes intentions ?
L’art de la persuasion dans le domaine de la vente, vise à créer un besoin en comblant un état de manque ou d’incertitude. Isolé du contexte qui le provoque, ce besoin paraît souvent superflu.
Contentons-nous d’observer que devenu nécessité le besoin ne remet pas en question, dans le cadre d’une transaction commerciale, un droit inaliénable.
Celui d’être satisfait ou remboursé.
Ce qui distingue une arnaque d'une opération commerciale parfaitement légitime est la capacité de cette dernière à ne pas conduire le consommateur à remettre en question son choix.

Commerce virtuel

Imaginez la scène suivante :
Vous faites vos achats dans un supermarché. À mesure que vous progressez entre les rayons, une main bienveillante ajoute des articles dans votre panier.
Subtilité non négligeable, les produits glissés à votre insu sont les compléments naturels de ceux que vous avez choisis précédemment. Si vous posez 1 kg de tomates fraîches dans le caddy, subrepticement il se garnit avec des produits dérivés, comme du ketchup ou même des pizzas.
Lorsque vous passez à la caisse, vous constatez que votre panier contient quelques surprises. Pas forcément désagréables !
Vous disposez bien évidemment de la possibilité de remettre en rayon les produits non désirés.
Mais pourquoi ne pas être séduit ? Comme les nombreux clients qui font la queue derrière vous, avec un panier tout aussi garni que le vôtre.
Lorsque vous payez avec votre carte de crédit (il n'y a pas d'autre possibilité), un petit détail attire votre attention. Par votre signature vous acceptez les conditions générales de vente du commerce. Vous ne prenez pas la peine de les lire, car les clients s'impatientent derrière vous. Erreur fatale ! Lesdites conditions prévoient notamment la possibilité de prélever directement sur votre carte de crédit des frais liés à la gestion de votre commande.

Tout ceci vous semble ridicule ?

Chez votre épicier probablement, mais pas sur Internet.
Le commerce virtuel permet de tester toutes sortes de stratégies commerciales. Les spécialistes en marketing utilisent Internet comme tremplin, pour façonner la réalité de demain.

Véritable manne céleste

C'est donc de la manière la plus légale du monde qu'une société américaine, ayant pignon sur la toile, a mis au point un système de vente très ingénieux.

Dans les grandes lignes, ce système tire profit des limitations techniques d'Internet, qui n'offre pas la possibilité au client de visualiser dans son entier le processus d’achat. L’utilisateur effectue une commande en plusieurs étapes. Il navigue sur plusieurs pages jusqu'au paiement final, lui-même fractionné.
Les appréhensions relatives aux problèmes de sécurité, incitent par ailleurs les utilisateurs à ne pas trop s'attarder sur le paiement proprement dit.

Leader mondial dans son secteur, la société dont nous parlons, dispose d’une clientèle très nombreuse. Une telle quantité de clients permet de passer à la seconde étape d'un stratagème très efficace : ponctionner une somme dérisoire à chacun d’entre eux.
Le résultat de plusieurs millions de clients multipliés par UN (1) malheureux dollar produit une véritable manne céleste !

Manière de procéder

Après avoir mis votre produit dans le panier virtuel, vous le consultez.
Première surprise, vous ne passez pas immédiatement à la caisse. Le formulaire affiche des prestations supplémentaires. Détail qui a son importance : ces prestations sont déjà comprises dans le total de votre facture.
Vous avez évidemment l'option d'y renoncer, mais le bouton qui permet de le faire se trouve hors du champ de vision immédiat (surtout sur un petit écran). Il est parfois nécessaire d'utiliser la barre de défilement pour accéder à cette information capitale.

Les tests effectués indiquent clairement que la plupart des personnes cliquent sur le premier bouton visible pour passer à l’étape suivante, et bien évidemment les prestations « proposées  » s'ajoutent au total de la commande.
Il faut remarquer que pour beaucoup d’utilisateurs, la question de renoncer à ces prestations complémentaires ne se pose même pas. Ils n'imaginent tout simplement pas qu'une prestation non sollicitée puisse être comptabilisée automatiquement !
Ainsi, au moment de payer, la plupart des clients se retrouvent avec un montant supérieur à leur prévision.

À ce stade, que font les utilisateurs ?
On pourrait logiquement penser que la plupart des clients font marche arrière et corrigent le montant qu’ils considèrent erroné. C’est certainement le réflexe d’un usager surpris par une différence substantielle entre le montant initial de sa commande et les ajouts subséquents.

Contre toute attente, lorsque le supplément n'est que de quelques francs, la majorité des utilisateurs valident leur commande.
Leur attitude est bien compréhensible : compte tenu de toutes les étapes déjà effectuées, recommencer depuis le début est à peine imaginable.
Ceux qui s’y risquent sont d'ailleurs souvent étonnés de voir les mêmes totaux se répéter, comme si les suppléments étaient vraiment inclus dans le prix.
Il faut écarquiller les yeux pour trouver son chemin dans un labyrinthe astucieusement pensé, où la simple annulation d’une commande nécessite une lecture attentive de toutes les informations de la page.

Lorsque le client est finalement parvenu à écarter ces suppléments imprévus, il se retrouve sur la page de paiement qui nécessite encore l'acceptation des conditions générales de vente.

Là encore tout est parfaitement légal. Malheur à ceux qui, dans leur précipitation, n'auraient pas cliqué sur les liens des conditions générales de vente (il y en a deux). Il est alors impossible de finaliser la commande.
Les rares personnes qui s’aventurent à lire ces deux pavés découvrent qu’ils donnent leur accord, pour que le fournisseur puisse prélever directement sur leur carte de crédit certains frais générés par leur commande.

Ce service de renouvellements tacites, créé spécialement pour libérer les clients de tout souci futur, se nomme tout simplement « Paiement anticipé qui vaut de l’or ».

Certes, mais pour le site marchand !