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Casanova

Parlant de son œuvre, Fellini considérait «Casanova» comme un de ses meilleurs films et probablement le plus abouti au niveau scénographique. Lors de sa sortie le film provoqua pourtant un accueil plutôt mitigé.

Selon Fellini, ce manque d’intérêt s’explique essentiellement par le fait que les spectateurs sont entrés dans la salle de projection avec leur propre film en tête, qu’ils auraient voulu voir se confirmer sur l'écran. L’observation de Fellini met en évidence un facteur intéressant qui peut devenir déterminant pour l’évaluation d’un film.
Comment s'explique le comportement décrit par Fellini ?

Un véritable mythe

Si nous considérons l’impact du nom de Casanova auprès du public, nous constatons rapidement qu’autour de ce personnage s’est constitué un véritable mythe.
Mais cette légende, c’est nous qui l’avons créée. Car sans nous en rendre compte, sous l’influence du récit des prouesses amoureuses de Casanova, nous y avons ajouté nos propres fantasmes. En analysant la motivation profonde du spectateur frustré, nous comprenons alors aisément la difficulté qu’il éprouve à accepter une autre image de Casanova.
Ceci le conduirait à mettre en lumière sa propre participation dans la création du mythe et éventuellement de découvrir la vraie nature de ses fantasmes et probablement d'en ressentir une culpabilité embarrassante.

Casanova et sa vraie identité

Partant de cette problématique qui constitue une situation psychologique étrangère au contenu visuel, Fellini en fait le thème central du film. Chaque scène met en évidence la contradiction entre l’effet provoqué par l’image déformée de Casanova et sa vraie identité, fatalement inaccessible.

Au début du film, nous attendons donc un Casanova malicieux, fourbe, opportuniste et pourquoi pas un brin dépravé. Nous observons, au contraire, que ce sont les courtisans, formant sa cour d'admirateurs, qui profitent de son orgueil et de sa vulnérabilité pour réaliser à travers lui leurs obsessions sexuelles. Ainsi l’utilité de Casanova se limite uniquement au rôle qui lui a été inconsciemment assigné par son entourage.

Dans ce contexte sa sensibilité ne parvient pas à s’exprimer. Chacune de ses tentatives de montrer ses connaissances, artistiques ou autres, suscite irrémédiablement indifférence ou dérision. L'impossibilité de révéler sa vraie nature n’est pas seulement imputable à l’attitude des autres, elle naît également de son incapacité à atteindre le but qu’il recherche.
Une autre difficulté provient de sa vanité de séducteur, qui le rend vulnérable à toute proposition libertine. Un facteur qui ne contribue certes pas à modifier son image de bourreau des cœurs.
L’idéal de Casanova est inaccessible et la frustration qui inévitablement en découle le pousse désespérément à rechercher entre les bras de ses conquêtes la félicité et l’apaisement qui mettrait fin à ses tourments.

Le romantisme exacerbé, la soif d’absolu et la vibrante ardeur qui émanent de la personnalité de Casanova sont tels de ne laisser aucune femme indifférente.

Séduire et non aimer

Mais ses rapports amoureux sont également voués à l’échec. La personnalité de Casanova le conduit à adopter un comportement compulsif dans ses relations avec l'autre sexe.
Après « s’être fait » une femme, il n’éprouve plus aucun intérêt pour elle. D'abord parce qu'elle n’est pas parvenue à lui offrir cette distension qu’il désire tant, et ensuite parce que son besoin narcissique exige que son habilité de séducteur soit confirmée avec toutes celles qu'il n'a pas encore courtisées.
Pour Casanova l’important est de séduire et non d’aimer.

Ce besoin est compensatoire. Fellini nous fournit la clé pour comprendre l'attitude de Casanova; la brève vision d’une mère froide et distante qui décourage les approches de son fils.

Amertume et désillusion

L’amertume et la désillusion accumulées provoquent chez Casanova une régression vers un type de rapport fétichiste avec une marionnette. Mais son utilisation ne correspond encore une fois pas à l'attente des spectateurs. Nous constatons au contraire que les caresses de Casanova ne sont pas celles d’un pervers, mais au contraire celles d’un être sensible et sincère.

Les nobles vénitiens se moquent désormais d'un Casanova vieillissant sans plus de crédibilité à leurs yeux, car incapable d'alimenter leurs tendances dépravées. Ils ne parviennent pas à découvrir la face cachée du personnage de Casanova et à comprendre la dignité d'un homme, qui malgré tout est resté cohérent avec sa propre ligne de conduite.

Comme le suggère l'épilogue du film, la nostalgie de Casanova se cristallise finalement sur cette figure en bois, la seule créature à ne rien exiger de lui.