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Amitié

Elle n'est ni un vice, ni une vertu, tant qu'elle n'entre point dans le domaine de la prudence ou de la bienveillance. C'est simplement un certain état des affections impliquant attachement à des objets particuliers. Or, cet attachement peut être ou nuisible ou bienfaisant.

Il est difficile qu'il soit indifférent : ce serait supposer des motifs et des conséquences de peines et de plaisirs, sans qu'il en résultât, de part ni d'autre, aucun excédant définitif; circonstance tellement rare dans le domaine de l'action humaine, qu'il est à peine nécessaire d'en tenir compte.
L'amitié peut être nuisible à l'objet aimant et à l'objet aimé; dans ce cas, c'est tout à la fois une infraction aux lois de la prudence et de la bienveillance.

Elle peut être pernicieuse à celui qui aime, et, alors, son exercice est interdit par la prudence. Sans être pernicieuse à celui qui aime, elle peut l'être à la personne aimée; dans ce cas, elle est malfaisante. De même, lorsque les plaisirs de l'un des deux sont plus que contre-balancés par les peines de l'autre, il y a une perte nette de bonheur, et par conséquent de vertu.

Quand l'amitié est une source d'avantages mutuels, il y a exercice de prudence et de bienveillance, jusqu'à concurrence de ces avantages mutuels, en supposant toujours que les conséquences des paroles ou des actes qui sont la source de ces avantages, ne s'étendent pas au-delà des individus en question; car quel que soit le résultat de bonheur que cette amitié leur procure, elle ne sera pas vertueuse, si elle détruit dans autrui plus de bonheur qu'elle ne leur en confère à eux-mêmes.
Jeremy Bentham (1834)